jeudi 9 mai 2024
Retour sur 30 ans… et maintenant ?
Entretien avec Philippe Gaudin (8/8)
J’ai construit 3 magasins neufs tout au long de mon parcours, ce qui est assez rare dans une vie professionnelle de grande distribution !
Président du club de triathlon depuis 2008, j’ai amené ce petit club local à être l’un des meilleurs clubs de France, et j’ai envie de faire le parallèle avec l’entreprise. De la même façon, nous avons fait passer le magasin – je n’étais pas tout seul – du statut d’un petit Super U local implanté dans le centre-ville à ce qu’il est aujourd’hui : l’un des plus important Super U de France. Dans le milieu associatif, il vous faut fédérer des gens qui n’ont d’autre lien que celui de l’adhésion, sans aucune obligation ; tandis que dans l’entreprise, il y a une hiérarchie, une subordination… mais c’est finalement à peu près la même démarche : il faut donner l’envie de partager les projets. C’est très intéressant de mener ces projets de front car il faut y mettre la même motivation et les mêmes envies pour que tout le monde vous suive, quelle que soit la nature de la relation. Je suis fier d’être parvenu à porter ces deux projets de façon concomitante : l’entreprise et l’associatif.
Les débuts
En 1991, l’enseigne Codec déposait le bilan, ce qui était quelque chose, et j’ai rencontré Système U avec mon père lors d’une vraie négociation avec Système U et le groupe Carrefour. Finalement, Système U nous semblait être le bon choix car cette enseigne était connue localement, ce qui était une vraie richesse, et aussi parce qu’il y avait aussi cette notion coopérative déjà très marquée. Système U a toujours été là pour nous accompagner sur les différents projets, en 2000 comme en 2016.
À l’origine, on a donc une entreprise familiale avec ses valeurs d’ancrage local, de respect des salariés, de capital familial. Quand j’ai rejoint mon père quelques années après la reprise, l’entreprise a commencé à grandir et d’un effectif de 30 au démarrage, nous sommes passés à 150 salariés aujourd’hui. Mais malgré le changement de taille et de lieu, l’état d’esprit est resté, le lien familial existe toujours et le respect des gens aussi. Mon père a été adjoint aux affaires économiques au sein du Conseil Municipal pendant plusieurs années, l’implication territoriale était déjà là, et aujourd’hui, je suis moi-même impliqué dans plusieurs instances.
Si le local existait déjà dans les années 90, les relations étaient différentes, avec moins d’individualisme et plus de lien chez les décideurs économiques. Les deux décennies suivantes, l’individualisme a pris le pas sur le collectif, un phénomène lié à l’aspect purement saisonnier du développement de nos activités. Aujourd’hui, grâce à diverses actions mises en place, comme la désaisonnalisation du commerce de Saint-Jean-de-Monts, je ressens de nouveau un véritable intérêt pour les actions communes ; le développement de notre territoire et de nos entreprises passe par cette obligation de travailler et d’imaginer ensemble.
Sur la question environnementale
C’est sans doute sur l’aspect environnemental que les choses ont vraiment évolué : il faut être honnête, il n’y avait pas ces considérations environnementales quand nous avons construit l’ancien bâtiment il y a 20 ans et les choix de l’époque étaient très loin de ceux que j’ai faits avec le nouveau bâtiment. Lorsque j’ai entrepris ce projet en 2013-2014, il était largement en avance, et en 2024, il est complètement d’actualité.
À la construction du second bâtiment, l’idée était de parvenir à dupliquer ce format de magasin en évitant certains écueils, certaines erreurs qui avaient pu être faites parce que nous innovions. La chance était aussi d’avoir des technologies plus avancées et une sensibilisation beaucoup plus forte : c’est maintenant presque une obligation réglementaire d’avoir ce type de bâtiment dans nos métiers, et de toute façon, il faut agir. On ne peut plus se dire que oui, mais peut-être non… c’est maintenant qu’il faut agir et le magasin que nous avons construit a été fait pour ça.
Aujourd’hui, ça m’intéresse de voir des collègues nous questionner pour faire la même chose. Certains commencent à suivre, comme à Mortagne-sur-Sèvre où un bâtiment à peu près similaire au notre a ouvert en 2021. D’autres mènent encore une réflexion sur le leur et une dizaine de super U est allée dans cette même démarche : pour chaque magasin neuf, les mêmes principes sont mis en œuvre. Je ne sais pas s’ils se sont inspirés de nous mais c’est certain que j’ai été le premier.
J’ai eu la chance de pouvoir construire du neuf ce qui m’a permis de créer ce bâtiment, alors que c’est devenu très compliqué car les projets sont très long et politiquement compliqués à mener, avec beaucoup de critères. Les démarches administrative et les démarches écologiques, les règles comme la zéro artificialisation des sols par exemple, sont devenues très strictes et très longues à aboutir… À l’époque, nous avions mis en place des choses qui n’étaient pas encore réglementaires, seulement « bien vues », mais en devenant réglementaires, elles sont devenues difficiles. Or c’est beaucoup plus coûteux et compliqué de réhabiliter un bâtiment ancien : on peut facilement agir sur l’éclairage et passer de l’halogène au LED, mais installer des panneaux photovoltaïques sur un ancien bâtiment est très complexe, car il faut par exemple que la structure puisse accueillir le poids des installations ; et si le faire sur les parkings reste une option, c’est encore d’une autre complexité.
On ne peut pas se lancer dans une telle aventure n’importe comment et cela demande réflexion ; il faut des vraies compétences techniques dans les conceptions, puis des entreprises capables de les mettre en œuvre. Après, il faut environ 5 à 6 ans pour arriver à trouver le bon fonctionnement, ce qui prend encore du temps, c’est vraiment une implication au long cours.
Et maintenant ?
En 30 ans, la population a presque doublé, passant de 5 à 9000 habitants, mais en parallèle, on a vu des grandes enseignes arriver, on sent que le commerce se structure ; cet élargissement de l’offre commerciale et l’attractivité nouvelle pour d’autres activités permet de réduire les déplacements, même s’il y a des gens qui continuent d’aller à Challans. Oser le pari d’un ensemble comme le notre a permis de développer un commerce plus local, ce qui est aussi un des enjeux majeurs de notre époque.
Trois mots me viennent à propos de ce projet : fierté, appropriation, satisfaction. Je pense qu’on ne s’est pas trompé et que 10 ans après, cette vision est toujours la bonne. Nous nous sommes approprié notre terrain, l’espace dans lequel nous sommes, aussi bien au niveau de la ville de Saint-Jean-de-Monts que de l’espace naturel. Mais surtout, nos clients et même nos élus se sont approprié le site, l’ensemble commercial et tout ce qui a été mis en œuvre.
Aujourd’hui, j’observe plus de fierté à propos de ce territoire qu’il y a 30 ans et je pense que l’engagement du magasin y contribue : on observe qu’une part des clients vient avec la fierté de faire leurs achats dans un magasin éco-responsable sur la partie énergétique et bioclimatique, d’autres le découvrent encore. C’est donc une vraie fierté pour moi aussi d’avoir pu associer le projet au territoire, avec une construction en accord avec son environnement naturel.
À moyen terme, c’est presque du long terme maintenant, je suis plutôt fier de penser que ce que nous avons fait a un sens, que ça fonctionne et que ça va pouvoir servir à d’autres derrière. J’arrive à un âge où je suis plus à réfléchir à la transmission qu’au développement de nouveaux projets et je suis heureux de me dire que la personne qui rachètera le magasin héritera d’un bâtiment qui aura quasiment 20 ans d’avance.
Sur sa valeur environnementale, l’outil a été conçu de telle façon que la personne qui le reprendra sera obligée de respecter ce qui a été mis en place. Quelque part, elle sera contrainte par tout ce qu’on a mis en place depuis des années et l’abandonner serait une erreur stratégique forte ! Ce qui est certain, c’est que je céderai l’entreprise a quelqu’un qui aura ces mêmes valeurs. Car après tout, je resterai Montois, local, et client aussi !